Le récit ci-dessous est une retranscription approximative dans sa forme, en raison d’un langage moins cru, mais tout aussi fidèle sur le fond, des propos tenus par certaines femmes émancipées dispensant leurs précieux conseils aux jeunes filles de notre temps.
En train de me justifier comme une pauvre conne. Alors que merde, avec ou sans raison, on ne devrait pas avoir à se justifier dans ces cas-là, jamais. Eve Gratien
Un des grands mythes véhiculés par ces femmes auprès de leurs consœurs, c’est qu’elles sont totalement libres de disposer de leur corps comme bon leur semble. Sans que cela pose le moindre problème, pour elles comme pour les autres. Peu importe si l’on se retrouve dans une situation fort embarrassante comme celle d’avoir un polichinelle non désiré dans le tiroir.
Pour surmonter sans encombre une telle mésaventure, pourtant si banale de nos jours, il faut d’abord ne pas en faire tout un plat. Si on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, il vaut mieux cependant bien préparer le terrain afin d’assurer ses arrières. Lorsque l’on se retrouve, non face à sa conscience. En effet, à l’époque actuelle, cela arrive de moins en moins, mais plutôt devant un affreux bonhomme à blouse blanche qui veut absolument vous tirer les vers du nez, avant de mettre les mains dans le cambouis.
1. Inventez-vous d’abord un passé de super-fertile.
C’est bien connu, les médecins sont des ignares en ce qui concerne l’existence d’une superwoman, réfractaire aux pilules anti-contraceptives les plus sophistiquées. Sachant que vous tombez enceinte au moindre éternuement, ils cesseront de vous importuner.
2. Ne vous laissez surtout pas intimider.
Par toutes ces personnes rétrogrades, heureusement en voie de disparition, qui vous considèrent encore (mais où diable est-on ?) comme une écervelée irresponsable.
3. Ne vous justifiez jamais.
Vous n’avez à rendre de compte à personne. Vous êtes majeure et vaccinée. Vous faites ce que vous voulez de votre vie, même si cela doit empiéter sur celle des autres.
4. Faites vous passer pour une victime.
Face aux questions insidieuses de votre gynécologue (attention, certaines femmes qui ont choisi cette vocation – quelle drôle d’idée ! – sont encore plus vachardes !) utilisez des arguments bien rodés. Le moyen le plus simple et le plus efficace est encore de projeter le problème sur les autres.
Vous avez déjà deux mioches d’une union précédente, qui savent à peine marcher. Leur père, qui vous battait, vous a laissé dans la mouise. Votre nouveau compagnon, celui qui est à l’origine de votre grossesse, auquel vous tenez tant (non pas à la grossesse, mais à votre petit ami), se dévoue corps et âme pour votre progéniture. Au point qu’il a renoncé à son propre désir de paternité. Vous ne voulez surtout pas le décevoir. C’est donc pour lui rendre service que vous préférez ne pas mettre au monde un autre petit bout de chou.
Regardez alors d’un air dépité votre gynécologue. N’oubliez surtout pas de verser quelques grosses larmes de crocodile, pour cet enfant que vous ne verrez jamais naître. Ensuite, enfoncez le dernier clou afin de lever les ultimes résistances de votre interlocuteur. Professionnellement parlant, c'est la galère. Vous êtes exploitée et mal payée, quand votre patron daigne vous rétribuer pour tous les services rendus. Comme de nombreuses mères martyrisées qui ont finalement choisi de s’affranchir du joug patriarcal qui les opprime (argument à présenter de préférence à un interlocuteur féminin, bien que certains hommes soient étrangement devenus assez réceptifs à ce genre de rhétorique), vous régatez pour nouer les deux bouts. De plus, vous ne pouvez pas compter sur votre famille, dont vous n’avez plus de nouvelles depuis des lustres.
« Alors, vous comprenez, une bouche de plus à nourrir, c’est tout simplement impensable. »
Si, malgré tout cela, vous avez encore des scrupules, ou plutôt si votre ami en a à malmener le petit embryon, qui commence à s’étirer dans votre ventre, alors gardez-le !
Au pire des cas, la société en prendra soin, et rien ne vous empêchera de continuer à mener votre barque, comme bon vous semble.